«L’architecture et l’urbanisme doivent s’envisager comme une réduction de la vulnérabilité de la condition spatiale humaine», affirmait le géographe Michel Lussault dans L’avènement du monde, essai sur l’habitation humaine de la Terre (Seuil, 2013). Depuis plus d’un an, alors que s’expriment dans la rue, de façon récurrente, des mécontentements dont la source première est le sentiment –corroboré par les statistiques– d’un creusement toujours plus grand des inégalités, le palmarès de la 37e Équerre d’argent ne peut que réjouir ceux qui sont persuadés que l’architecture à une fonction sociale, voire thérapeutique pour la société et les territoires. L’architecture répare la ville: Charles-Henri Tachon le prouve avec la résidence sociale Julia-Bartet, qui transfigure un non-lieu parisien, un bout de trottoir de la porte de Vanves, perdu entre voies de chemin de fer et boulevard périphérique. L’architecture réactive les territoires délaissés: en Haute-Loire, à Brioude, Aymeric Antoine et Pierre Dufour redonnent vie à un hangar SNCF en permettant l’installation d’un atelier de verrerie. L’architecture invente de nouvelles façons d’habiter: Sophie Delhay crée des logements en combinant des pièces carrées, à occuper selon l’envie des habitants. L’architecture anime les quartiers pavillonnaires périphériques: à 20 km de Nantes, l’agence Raum implante une salle des fêtes performante qui dépasse de loin les standards en la matière. L’architecture sublime les programmes banalisés: Christian Kerez propose une sculpture structurelle minimaliste en réponse à une demande de bureaux en blanc. Enfin, l’architecture résout les contradictions et éteint les polémiques: Marc Mimram installe un nouveau court de tennis pour Roland Garros, enfoui dans une forêt tropicale au cœur du jardin des serres d’Auteuil. Dès lors, on ne peut que saluer le rôle des architectes, qui fabriquent avec ferveur, conviction et constance les lieux du quotidien, ceux qui concernent la majeure partie de la population. Comme le disait Paul Chemetov, président du jury de cette Équerre 2019, à l’antenne de France Culture le 4 décembre dernier: «L’ordinaire, c’est ce qui, jour après jour, se répète et fait la trame de la vie. Et cette vie de tous les jours, parce qu’elle est humble, doit faire l’objet de la plus grande attention: l’ordinaire, ce n’est pas le quelconque.»