Même si dans l'histoire, d'autres virus ont déjà conduit à modifier la forme urbaine1, la situation du printemps 2020 confirme, s’il le fallait encore, à la fois l’ampleur des questions à résoudre et des défis à relever.
Comment se doter, enfin, de véritables ressources numériques pour inventer et consolider les capacités de résilience locales ? Comment disposer de solutions d’exploitation des données personnelles à la fois socialement acceptables, à même de gérer en mode préventif la santé des personnes ou le maintien à domicile, et d’intensifier les échanges locaux ? Comment adapter les projets, par exemple de construction, de gestion des espaces publics ou de soutien à l’économie locale, aux nouvelles normes sanitaires ? Comment concevoir un lieu recevant du public garantissant l'application de gestes de barrière sans isolement social ? Comment anticiper sur les modes de fonctionnement des commerces et des immeubles de bureau demain ; comment simplifier ou enrichir l’expérience client dans et hors de ces lieux ? Comment favoriser des comportements plus écologiquement équilibrés ? Comment concilier nature et programmes urbains ? L’hyper-urbanisme qui a été la norme de ces dernières années sera-t-il encore pertinent demain ? Pourrait-on plutôt assister à de nouvelles formes de distribution des activités avec plus de travail à distance, plus de pôles de dimension moyenne interconnectés entres eux ?
Renforcement des centralités, réinvention de la ville du quart d’heure, invention de nouvelles ressources d’actions locales, ruralités repensées, intensification des démarches contributives ouvertes à plus de citoyens acteurs (…), la crise sanitaire donne incontestablement plus de force aux arguments de tous ceux qui travaillent au renforcement des organisations d’hyper-proximité. Quatre raisons au moins plaident en effet pour ce grand chantier.
La première se résume dans une formule : l’hyper-proximité (les espaces de vie du quart d’heure) serait l’un des leviers les plus efficaces pour relocaliser une partie des flux de production et de distribution.
La seconde se fonde sur un constat : il paraît indispensable de repenser les modes d’habiter et de cohabiter, d’optimiser la proximité énergétique, de favoriser de nouvelles formes de travail et de mobilités.
La troisième raison fait de plus en plus l’actualité : rien ne semble pouvoir vraiment changer sans une transformation progressive des comportements d’usagers ou de consommateurs qu’il faut rendre de plus en conscients des conséquences de leurs choix.
La quatrième exprime l’indispensable volet politique des trois premiers : il faudra en effet une gouvernance réinventée de la résilience et de la transition. Le rôle des pouvoirs publics locaux, par exemple en matière de tiers de confiance, de mutualisation ou de formes d’intelligence collective qui incluent le plus grand nombre, sera à ce titre capital.
Ces quatre finalités fondent les expériences et les travaux que nous avons engagés depuis de longues années pour participer à l’invention de véritables stratégies numériques et territoriales ; quelque chose comme un Internet local fondé sur des approches micro complémentaires des modèles macro des industriels du Web. Cet internet de la proximité se fonde sur trois grands principes que l’on peut sans doute synthétiser comme suit.
Cet Internet local n’est pas magique mais hybride : il ne suffit pas à doter seul quelque organisation que ce soit, à fortiori publique locale, de véritables leviers d’action. C’est au contraire dans la consolidation des liens entre lieux ou espaces de vie et solutions en ligne que l’on peut mobiliser de véritables ressources maîtrisées. Ce numérique n’est pas technologique mais politique : les expériences qui fonctionnement sont bien l’expression d’une vision démocratique, socio-économique et écologique territoriale. Les entrées strictement fondées sur des discussions entre spécialistes, sur des approches seulement techniques, ou sur des formes de délégation en mode boite noire nous semblent annoncer les défaites, notamment publiques, à venir. Ces stratégies ne sont pas jacobines mais décentralisées et partiellement mutualisées. Elles expriment la modernité des approches de type réseaux des réseaux qui fondent l’Internet et incitent à enfin inventer les formes de subsidiarité numérique sans lesquelles les messages quasi divins, présidentiels ou européens par exemple, resteront des modalités de communication du siècle dernier.
La crise sanitaire sera-t-elle ainsi le déclencheur qui nous manquait pour non seulement gérer de nouveaux Corona mais surtout pour se donner les moyens de réussir les chantiers de transition sociaux, écologiques, économiques, managériaux et démocratiques qui s’annoncent ? L’avenir le dira.
[1] Yannick Hascoët : durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, la question de la désinfection est posée et se traduit par le pavage des rues, puis par la création de trottoirs. Au XIXe, des travaux comme ceux du baron Haussmann se font au nom du développement de l'hygiénisme.
Par Jean-Pierre Jambes
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