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La nature est vitale pour notre santé physique et mentale, cela est scientifiquement établi depuis de nombreuses années. Mais la pluie, ses excès mais aussi sa rareté jouent également un rôle majeur dans une ville qui devra demain gérer l’augmentation de la température, éviter les îlots de chaleur et apporter du bien-vivre à ses habitants. Le modèle d’aménagement de nos espaces urbains actuels privilégie encore trop souvent le minéral et le tuyau parfois à des coûts prohibitifs. Il y a urgence à agir et à se saisir des opportunités de chaque territoire.
Le diagnostic climatique est posé, il faut maintenant réagir
Les conclusions des nombreuses études conduites sur le changement climatique convergent et celle de l’étude prospective Adour 2050 conduite par l’institution Adour est sans appel : si nous ne faisons rien, la situation actuelle déjà délicate connaitra d’ici 30 ans une aggravation de la gestion des ressources en eau sur le bassin de l’Adour et les côtiers basques. Des problèmes de qualité de l’eau subsisteront en période d’étiage (débit minimal d'un cours d'eau), ou lors d’épisodes pluvieux intenses tout particulièrement à proximité de zones urbanisées. Dans ce contexte, l’état écologique des cours d’eau ne pourra s’améliorer significativement ; seulement 56 % des cours d’eau sur le bassin de l’Adour sont en bon état or, nous devons atteindre 79 % d’ici 2027. Enfin, à volume de pluie équivalent, le nombre de jours de pluie diminuera, renforçant les phénomènes intenses, le risque d’inondations et la température va augmenter, multipliant les pics de chaleur.
Le défi environnemental qui se présente à nous ne doit cependant pas être résumé au seul enjeu du changement climatique ; il possède trois dimensions interdépendantes, changement climatique, artificialisation des terres et érosion de la biodiversité.
Des efforts de réduction de notre empreinte écologique ont déjà été fournis, il faut les intensifier pour espérer gagner la course à l’adaptation. Il n’est pas trop tard mais nous devons accepter de faire différemment et oser la rupture.
Sols, milieux naturels et humides, des alliés à redécouvrir
Trouver les solutions et les ressources nécessaires à l’adaptation de nos territoires doit passer par un changement de regard sur le patrimoine naturel qui les compose. Nous sous-estimons considérablement le niveau de dépendance aux écosystèmes dans lesquels s’inscrivent nos sociétés. Aucune ne peut prétendre se passer de ces écosystèmes, tant les services qu’ils nous rendent sont nombreux et irremplaçables (on parle de services écosystémiques [1] ) et la mise en œuvre des solutions d’aménagement et d’adaptation de nos territoires au changement climatique reposent en grande partie sur ces écosystèmes ; on parle de Solutions Fondées sur la Nature (SFN), concept défini par l’UICN [2] qui a émergé il y a plus de 15 ans mais ne trouve vraiment d’écho que depuis 2015.
Ainsi, un arbre mâture au sein de l’espace urbain, fournit à lui seul le même service de rafraîchissement que cinq climatiseurs. La végétation d’un bassin versant constitue le moyen le plus efficient de ralentir les ruissellements et ainsi l’érosion des terres. Les sols et la biomasse sont des acteurs incontournables de la gestion de l’eau.
De la composition d’un sol, de sa texture et sa structure dépendent porosité, aération, perméabilité, rétention d’eau, richesse en êtres vivants. De ces propriétés découlent les fonctions filtre, tampon, réservoir, nourricière d’un sol, essentielles pour l’environnement. La fonction de stockage de l’eau pour réguler les flux en période d’inondation ou de sécheresse est précieuse face aux excès climatiques ; le rôle de filtre satisfait les enjeux qualité de l’eau pour éviter toute contamination du sol, du sous-sol, des nappes phréatiques. Enfin un sol vivant, aéré par des vers de terre et habité par des microorganismes qui dégradent et transforment la matière organique est, créateur du paysage, de bien-être et concourt à la survie de nombreuses espèces.
Un espace urbain plus perméable et naturel : le challenge
L’aménagement de nos villes, nos villages semblent avoir fait l’impasse sur les lois de la nature. Par souci de facilité, pour répondre d’années en années à une demande croissante d'habitat individuel ou de zones artisanales standardisées, le pourcentage de surface artificialisée de nos territoires s’est accru pour attendre jusqu’à 9 % [3] du territoire français.
L’analyse des évènements pluvieux parfois dramatiques de ces dernières années amène de plus en plus d’élus et de citoyens à s’interroger sur la sécurité des biens et des personnes mais l’urbanisation et l’imperméabilisation des sols, facteurs aggravants des ruissellements urbains sont encore difficiles à identifier comme facteurs de risque par les populations.
La mise en œuvre des solutions dites douces, fondées sur la nature, requiert renoncement et remise en cause de l’existant, mais aussi inventivité, et ouverture d’esprit pour répondre différemment aux enjeux de sécurité, santé et cadre de vie de la ville de demain. Leur usage passe inéluctablement par une mutation intellectuelle des preneurs de décision.
Refuser ou limiter l’imperméabilisation des sols : premier réflexe à acquérir
Si les fonctionnalités du sol et des espaces naturels sont une chance, les décideurs de l’aménagement doit commencer par les préserver. En référence aux objectifs stratégiques de « limitation de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pour atteindre le zéro artificialisation nette » affichés dans le cadre du plan national Biodiversité (2018), il est clairement identifié le souhait d’améliorer la mise en œuvre de la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC) pour limiter l’impact des surfaces imperméabilisées et voir reverdir nos villes et villages.
Lois et règlements successifs, outils juridiques en vigueur, discussions en cours dans le cadre de la loi climat et résilience, ralentissent le rythme d’artificialisation des sols en France, bien qu’il soit encore le plus important d’Europe avec un palmarès par Région peu favorable à la Nouvelle-Aquitaine. Depuis 1981 la population française a augmenté de 19 %, l’artificialisation de 70 %. Le facteur démographique n’est donc pas une explication.
Localement, sur le département des Pyrénées-Atlantiques : de 2000 à 2015, 9 900 ha soit 14 000 terrains de football ont été artificialisés pour accueillir 70 000 habitants avec une majorité de nouveaux espaces artificialisés construits à faible densité de logements et d’équipements.
Si nous ne faisons rien, c'est l'équivalent de deux fois le département de la Gironde, ou trois fois le département de la Haute-Garonne qui va être urbanisé d'ici 30 ans. Afin d'éviter des impacts quelquefois irréversibles notamment sur l'eau et les milieux aquatiques, il est de notre devoir d'agir aux cotés des collectivités avec des propositions d'évolution de la réglementation» a déclaré Martin Malvy, ancien président du comité de bassin lors du colloque d’Arcachon intitulé « repenser l'eau dans la ville » (octobre 2019).
Malgré les alertes et l’encadrement législatif, répondre aux besoins économiques, sociaux et aux aspirations de développement local reste encore le moteur de l’aménagement des territoires.
Il faut accompagner un changement de paradigme pour étudier un développement moins consommateur d’espace, et des aménagements qui vont intégrer l'absorption de l'eau de ruissellement dès la conception des projets. Si densifier l’habitat est aujourd’hui mieux accepté, il faut aller plus loin et engager une vraie réflexion sur un développement économique et social à moindre impact sur la capacité de l’eau à s’infiltrer, un développement qui multiplie les espaces verts, les chaussées drainantes, les noues, voire les toitures végétalisées pour réalimenter les nappes phréatiques et les cours d’eau.
Le SDAGE (Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) qui cadre la politique de l’eau à l’échelle du bassin Adour-Garonne recommande, depuis 2010, le développement d’une culture commune entre acteurs de l’urbanisme et de l’eau, un « Porter à Connaissance » des enjeux de l’eau et des milieux aquatiques et du changement climatique dans les procédures d’urbanisme.
En 2021, les acteurs de l’eau ne sont encore que trop rarement associés à l’élaboration ou à la révision des documents d’urbanisme, les gouvernances doivent encore évoluer pour dégager, voire imposer des prescriptions de bon sens.
Désimperméabiliser et renaturer : la solution de rattrapage
Routes, places recouvertes d’enrobés, dalles ou autres revêtements imperméables, ronds-points et jardinières fleuries décrivent assez bien le mode d’organisation de nos espaces contemporains. Propreté, efficacité, entretien facilité, exigence des habitants ont souvent prévalu à de tels aménagements. Le chemin de l’eau n’a que très rarement été appréhendé, l’ingénierie du tuyau se voulant être la réponse adaptée pendant des décennies.
Pourtant tout un chacun reconnait lors d’épisodes pluvieux plus ou moins intenses avoir observé des espaces inondés, des collecteurs qui refoulent, craignant pour l’intégrité de leurs biens, voire de leurs personnes. Peu s’interrogent sur l’entrainement direct des polluants (hydrocarbures en particulier) vers les cours d’eau ou les nappes, sur l’absence de recharge des nappes phréatiques, sur la perte sèche d’une eau utile pour la végétation et les milieux humides.Rares sont encore les personnes qui mettent en relation aggravation des phénomènes de ruissellement et absence d’infiltration ; le cours d’eau et son manque d’entretien sont encore trop souvent les coupables désignés.
Dans un contexte où les épisodes pluvieux de fréquences décennales sont appelés à se multiplier, comme ceux qui ont frappé le grand sud-ouest ces 5 dernières années, ces phénomènes mettent en lumière notre incapacité technique et financière à canaliser l’intégralité des flux. Il faut donc réparer, revisiter les aménagements existants pour faciliter l’infiltration d’une l’eau indemne de polluants et accélérer le retour d’espaces naturels en ville. On parle de « désimperméabilisation » et de « renaturation ».
Si cela reste une révolution pour bon nombre de collectivités, les expériences se multiplient, en France mais aussi sur le Sud-Ouest. A la faveur des requalifications de bourgs, des renouvellements de conseils municipaux, de coups de pouce financiers comme celui octroyé par l’agence de l’eau Adour-Garonne, des projets voient le jour ; Assat dans les Pyrénées-Atlantiques, Capbreton dans les Landes, Ouzous, Lamarque-Pontacq dans les Hautes-Pyrénées ont déjà franchi le pas.
Pédagogie et implication citoyenne : d'indispensables leviers d'action
Informer, former, échanger entre élus, services des collectivités et acteurs de l’eau conditionne la mise en œuvre du changement. Mais mieux valoriser l’eau en ville n’est pas seulement la mission des élus. L’enjeu se joue également à l’échelle des particuliers qu’il faut sensibiliser à la non imperméabilisation de leurs allées, cours, espaces privés, à la déconnexion des eaux pluviales du réseau pour privilégier une gestion à la parcelle et une valorisation de l’eau de pluie. Toutes les parties prenantes d’un tel projet pour la ville doivent avoir bien compris l’intérêt de la démarche. Elle ne doit pas être vécue comme un retour en arrière mais comme une véritable avancée.
Pour les élus, des séances d’information s’organisent. Le webinaire proposé par l’Office International de l’Eau (OIEau), l’agence de l’eau Adour–Garonne et un collectif de structures d’ingénierie [5] réuni autour de la DDTM des Pyrénées-Atlantiques aura lieu les 4 mai, 1er et 29 juin 2021. C’est un pas en avant.
Pour les particuliers, il est important d’organiser des débats, des visites de sites, de les associer aux projets et de leur vendre une ville qui demain gérera les eaux de ruissellement à un coût moins important, limitera les risques d’inondation, atténuera l’effet des températures et sera plus agréable à vivre.
Nous avons toutes et tous à gagner au retour de la pluie et de la nature en ville, osons.
[1] www.ecologie.gouv.fr/levaluation-francaise-des-ecosystemes-et-des-services-ecosystemiques / uicn.fr/services-ecologiques/
[2] L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature est la plus grande et la plus ancienne des organisations globales environnementales au monde. Site mondial : www.iucn.org
[3] Source : DDTM64 - Mission observation des territoires
[4] Source : Observatoire national de biodiversité français du territoire français
[5] Conseil Départemental des Pyrénées-Atlantiques, Conseil Départemental des Hautes-Pyrénées, Conseil Départemental des Landes, AUDAP, CAUE 64, 65 et 40, CEREMA
Par Véronique MABRUT
https://twitter.com/mabrutv
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