Une précarité accentuée
Deux expressions reviennent fréquemment depuis quelques mois pour qualifier l’impact de la crise sanitaire sur les conditions de logement : la « double peine » pour ce qui concerne les personnes sans-abris ou mal-logées et la « bombe à retardement »[1] pour les ménages modestes mais aussi pour leurs bailleurs et par extension tous les acteurs de l’immobilier ainsi que ceux l’urgence et de l’hébergement…
A l’heure où nous écrivons (septembre 2020), les phénomènes de « double peine » peuvent être largement documentés car ils sont, pour la plupart, déjà advenus. Et il est tout à fait opportun d’en décrire la portée dans la mesure où ils touchent les personnes les plus fragiles. Cela est d’autant plus important que, les semaines passant, certaines conséquences peuvent encore s’aggraver pour ces mêmes personnes tandis que de nouvelles populations, devant le prolongement des mesures de précaution sanitaire qui vont continuer à perturber la vie économique et sociale de notre pays, vont se trouver fragilisées, voire vont basculer dans la précarité (la fameuse « bombe à retardement »).
A l’analyse et après avoir rencontrés des acteurs de première ligne et des personnes ayant subi le confinement-déconfinement [2], il nous semble cependant que l’on ne pourra pas se contenter d’annoncer qu’avec la crise sanitaire, la crise du logement est devenue plus grave et plus profonde. Il apparait en fait, que plus que se superposer, les deux « crises » se sont conjuguées pour mettre au jour un point de rupture où se trouvent aujourd’hui les politiques du logement et de l’hébergement.
De la crise sanitaire vers un changement des dispositifs
En effet, un phénomène inédit a sans doute été engendré par la crise du COVID 19, un phénomène remarquable pour au moins deux caractéristiques :
- celle d’abord d’avoir opéré un dérèglement du « système du logement » ; un dérèglement qui s’exprime à la fois dans l’augmentation du nombre de situations de mal-logement (y compris les publics « invisibles » révélés par la crise sanitaire que ceux qui ceux qui seront susceptibles de subir, par contrecoup, les effets de cette crise), dans les ruptures occasionnées (perte d’emploi, interruption des suivis sociaux, arrêts des démarches administratives, etc.) mais aussi dans la mise au jour des dysfonctionnements et des errements des politiques du logement et de l’habitat (tant en matière d’accessibilité que de maintien, avec des logements toujours trop rares, trop chers, trop ségrégés, avec une couverture des risques insuffisante et une absence de fluidité dans les parcours résidentiels) ;
- celui, ensuite d’avoir provoqué, ici ou là, une ouverture vers d’autres « possibles » avec des moyens et des méthodes renouvelés ainsi que des modes de travail partenarial originaux.
La crise sanitaire en révélant les contradictions, les impasses, les insuffisances et les dérives des politiques actuelles semble pouvoir jouer le rôle d’accélérateur des mutations en cours. En effet, les conséquences directes, avérées ou potentielles de cette crise, sur les politiques du logement, pourraient avoir des effets structurels et durables dans la mesure où celle-ci pourrait compromettre l’efficacité des dispositifs devant servir d’ « amortisseurs » aux difficultés que rencontrent les ménages dans cette période particulière (fonds d’aides aux impayés de loyers et d’énergie de type FSL, CCAPEX, aides personnelles au logement…) mais aussi perturber tous les dispositifs de mise en adéquation de l’offre avec la demande et de fluidification des itinéraires résidentiels (qu’il s’agisse de production neuve, de rénovation urbaine, d’équilibre de peuplement ou de mise en œuvre du « Logement d’abord »…).
Préparer le monde de demain
Dans le même temps, des acteurs sur le terrain ont pu expérimenter et re-questionner leurs pratiques et leurs références : qu’il s’agisse du travail social qui a pu s’apparenter à de l’action humanitaire (aide alimentaire, accès à l’eau, mise à l’abri des SDF…) ou qu’il s’agisse d’une ambition clairement formulée comme le « zéro retour à la rue des SDF » ou la volonté de faire perdurer des modes de coopération entre acteurs ou de promouvoir des formules de logement interstitiels ou de s’attacher à compléter les droits des migrants…
Les pratiques suscitées par la crise ont révélé les lacunes et carences du système d’urgence sociale « classique »et des politiques du logement dans leur ensemble, mais aussi, parallèlement, elles ont mis au jour la capacité des acteurs institutionnels comme associatifs à se mobiliser et à renouveler leur mode de coopération. C’est ainsi que des modes d’interventions originaux s’étant développés, des ambitions nouvelles ont commencé à s’exprimer localement, tant en matière d’accès au logement (« le logement d’abord »), qu’en termes d’urbanisme (densité, proximité et/ou desserrement urbain) et de formes architecturales (adaptation de l’espace domestique au télétravail, accès à des espaces extérieurs privatifs ou communs…).
Pour aborder la période à venir avec un peu d’optimisme, il n’est pas inutile de rappeler quelques-unes des notions que propose la « sociologie de la crise » telles que les ont formulées, par exemple Edgar Morin (Pour une sociologie de la crise [3]) et donc se rappeler que, les crises sont des « concentrés (…) de phénomènes qui sont des révélateurs signifiants de réalités latentes et souterraines, invisibles, en temps dit « normal » »… Forts de ces propos, nous pourrons agir pour que le « monde d’après ne soit pas un retour au monde d’avant » [4].
[1] www.franceculture.fr/societe/la-bombe-a-retardement-du-logement
[2] Enquêtes réalisées pour Fondation Abbé-Pierre dans le cadre de la production de son rapport annuel sur l’Etat du mal-logement en France.
[3] Morin, Edgar, Pour une sociologie de la crise, in Communications n°12, 1968
[4] En référence à la phrase du Président de la République dans son discours du 16 mars 2020 : « Le jour d’après ne sera pas un retour au jour d’avant ».
Par Didier Vanoni
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