Dialogue (inter)territorial en Sud-Aquitain - Logement, mobilité(s), accessibilité(s) : mises en perspectives

par Marie-Christine Jaillet Directrice de Recherche CNRS au Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoire (LISST), responsable scientifique POPSU Métropoles.

Si le format proposé pour l’animation des ateliers* a été quelque peu déconcertant au premier abord, ces approches techniques et politiques dissociées sur un même sujet ont été d’une grande richesse, avec certes des priorités et des solutions différenciées, mais qui s’avèrent finalement très complémentaires. Difficile dés lors d’en faire synthèse. Mon propos reposera plutôt sur quelques interrogations suscitées par les propos que j’ai entendus, en espérant qu’elles seront utiles.

Appréhender la réalité à partir de diagnostics renouvelés, développer l’implication citoyenne

Il est important de rappeler que pour bien agir nous avons besoin de nous appuyer sur de bons diagnostics : les représentations, les catégories habituelles ne suffisent plus. Pour appréhender la complexité de notre quotidien, de nos territoires, les regards croisés, mobilisant des expertises de nature différente sont nécessaires. Nous avons également besoin d’analyses embrassant plus largement les comportements et les modes de vie : on ne peut pas, par exemple, quand on s’intéresse à la mobilité des ménages, s’arrêter aux seuls déplacements domicile/travail qui ne représentent qu’une part de leurs déplacements. A fortiori quand le télétravail se développe ou au regard de nouvelles pratiques qui dispensent les ménages de tout déplacement, tout en reportant éventuellement ces déplacements sur d’autres acteurs : ainsi du e.commerce. Il faut donc apprécier à la fois les externalités positives et les externalités négatives de ces changements de comportements individuels dont l’addition finit par avoir des effets structurants.

Si les ménages qui s’installent dans les territoires périurbains / ruraux le font pour améliorer leurs conditions de logement et se rapprocher de la « Nature », ils restent des urbains dans leurs pratiques, avec des besoins de services et d’équipements assez équivalents à ceux des citadins. Le développement du commerce en ligne, d’une offre de services et de loisirs par internet répond pour partie à leurs attentes. Mais la dématérialisation de ces services et leur déshumanisation finissent par poser un double problème : d’accès pour les moins agiles (les « digital natives » sont encore loin d’être les plus nombreuses) et d’absence de relations « incarnées » (la crise de la COVID et le confinement qui s’en est suivi en ont souligné l’importance pour l’équilibre psychique et le bien-être). Dès lors, le développement, en remplacement de la disparition des services publics ou des professionnels de santé, d’une offre numérique - par exemple, de télémédecine - n’est pas à la hauteur de l’attente : c’est aussi un contact humain, une relation en coprésence physique qui sont attendus, tout particulièrement dans les zones peu denses où les petites interactions du quotidien et les occasions de rencontre se font plus rares. Qu’il s’agisse des soins médicaux, des démarches administratives, des déplacements, des courses alimentaires, des loisirs, l’expérimentation de services mobiles (minibus ou taxi partagé, épicerie ambulante, bibliobus, camion médical, bus « France Services ») qui se déplacent de village en village permet de rendre le service attendu et de l’inscrire dans un rapport humain essentiel.

Pour bien agir nous avons besoin de disposer de bons diagnostics, appuyés sur des catégories pertinentes et le croisement des expertises et représentations croisées (…) afin d’appréhender la complexité de nos territoires.

Enfin, renouveler l’exercice du diagnostic, c’est désormais le partager avec les citoyens, mobiliser leur propre expertise usagère, l’expression de leur situation et de leurs besoins. Il ne s’agit plus, dans la définition des politiques publiques, de faire POUR, même avec les « meilleures intentions du monde », mais bien de faire AVEC. Faire avec, ce n’est pas seulement consulter, c’est associer et donc ouvrir des espaces et des temps de discussion et de confrontation. Ce n’est pas simple d’autant que ce dialogue peut être chronophage. Il est cependant la condition d’une plus grande efficience de l’action publique.

Repenser l’attractivité, la conjuguer à la proximité

Au-delà des manières d’appréhender la réalité et les besoins d’un territoire, il convient d’interroger les finalités de l’action publique et en particulier quand elle se donne pour objectif d’accroître l’attractivité : que recouvre d’ailleurs exactement cette notion ? Traditionnellement renforcer l’attractivité d’un territoire c’était accroître ses atouts (ou pourrait aussi dire ses atours !) pour y attirer de nouveaux ménages, mais aussi des entreprises et des emplois. L’attractivité d’un territoire se mesurait donc, en premier lieu, par sa croissance démographique, au risque parfois de fragiliser les conditions de vie des habitants « déjà là », dans l’accès au logement par exemple, ou aux nouvelles aménités. À quoi bon être un territoire attractif si ses ressources ne sont pas socialement accessibles à tous ?

On observe aujourd’hui un double mouvement, encore discret dans son expression publique, de prise de distance avec l’acception classique de l’attractivité, qui en redéfinit le contenu : 1) il s’agit moins de développer les atouts d’un territoire pour y faire venir de nouveaux habitants que de s’occuper de ceux qui y vivent déjà ; 2) il s’agit moins d’accroître la notoriété d’un territoire par la réalisation de grands projets, d’équipements phare ou encore de gestes architecturaux « flamboyants » que de s’attacher à améliorer le quotidien et les conditions de vie des habitants. C’est vrai à la fois dans les grandes villes moins soucieuses de faire rayonner leur identité par des bâtiments, événements « dont on parle » que de veiller à la qualité des équipements, services, espaces publics de proximité ainsi qu’à leur adaptation au changement climatique, comme dans les communes plus rurales où la réussite des édiles ne se mesure plus uniquement au nombre de nouveaux lotissements construits ou à une courbe démographique en croissance, mais là aussi à l’amélioration de la qualité de la vie quotidienne.

Se mobiliser pour un territoire accessible, s’autoriser les pas de côté

Pour autant observons qu’à l’échelle du territoire national, il reste bien difficile de réguler les flux démographiques vers les métropoles qui demeurent des pôles d’emploi particulièrement attractifs ou vers les territoires littoraux qui attirent par leur cadre de vie. Une répartition plus équilibrée de la croissance démographique suppose une inflexion des politiques nationales et sans doute la reviviscence d’une politique volontariste d’aménagement. En attendant qu’une forme de régulation de ces flux advienne, soit par des mesures volontaires (que l’on discerne par exemple dans le soutien aux politiques de revitalisation des petites et moyennes villes), soit par les conséquences du réchauffement climatique (moindre attractivité des villes et littoraux des suds), les territoires les plus attractifs pour le moment, s’efforcent d’atténuer les effets nocifs de cette attractivité quand ils se traduisent par une aggravation des inégalités sociales, en particulier en matière d’accès au logement.

À quoi bon être un territoire attractif si ses ressources ne sont pas socialement accessibles à tous.

En conclusion, il n’est pas question ici de décliner tout ce qui pourrait être entrepris, pour répondre à l’objectif commun d’accessibilité, mais on peut néanmoins identifier trois préalables indispensables :

  • Être attentifs à la manière dont nous identifions les attentes des ménages, leurs besoins, car nos modes de vie évoluent : on peut vivre seul, en couple, mais sans pour autant cohabiter, en famille au sens classique du terme (un couple et leurs enfants), en famille recomposée, de manière intergénérationnelle avec ses enfants devenus adultes ou ses parents âgés, « en communauté », différemment selon les âges et « accidents » de la vie, selon son histoire personnelle et ses bifurcations, etc. Il faut donc prendre en compte cette diversification et complexification des besoins et parcours résidentiels tout au long de la vie, dans la production de logements et concevoir des logements adaptables, disposant d’une certaine plasticité dans leur organisation, voire dans leur surface.
  • Affronter plus clairement un phénomène massif – devant nous- lié à l’allongement de la durée de vie : le vieillissement de la population et l’augmentation des personnes très âgées en perte d’autonomie et de mobilité qui appelle d’autres réponses que les établissements médicalisés, du moins tels qu’ils existent aujourd’hui. Sans oublier qu’une des caractéristiques majeures de la structure socio-démographique de la population française est la part croissante des ménages de petite taille composés d’une seule personne (à tous les âges de la vie).
  • Donner davantage de place à l’innovation et à l’expérimentation, à l’appui d’expériences portés par des bailleurs sociaux, ou des collectifs citoyens. L’aspiration à d’autres conditions d’habiter par la pratique d’un habitat associant espaces privatifs et espace partagés, exprimée par des étudiants, des jeunes actifs, des familles, des personnes âgées, des femmes, devrait être davantage accompagnée par les collectivités locales, en particulier pour créer les conditions d’un déploiement dans les politiques ordinaires de ce qui ressort de la logique expérimentale du démonstrateur.

Si ces défis sont de taille, il me semble que l’espace d’échanges que vous proposez, celui d’un dialogue (inter)territorial à l’échelle du Sud Aquitain, constitue un lieu d’ancrage salutaire pour appréhender ces nouveaux enjeux qui dépassent votre cadre et périmètre habituel, et partager expérimentations et actions.

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* Il s'agit des deux ateliers, politique et technique, organisés lors du séminaire du 14 décembre 2023 à Orthez - "Le dialogue (inter)territorial (inter)territorial en Sud-Aquitain - Logement, mobilite(s), accessibilité (s)".

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